Chapitre 24

 

DÉVOILEMENT

 

 

Jarlaxle tournait le dos à Entreri et feignait de regarder dans la rue, ce matin-là, par la porte de la cabane ouverte. Athrogate ronflait copieusement dans un coin de la pièce, sa respiration s’interrompant à intervalles irréguliers. Le drow se distrayait en imaginant des araignées grimper dans la bouche ouverte du nain.

Entreri était assis à la table, le visage tendu de colère ; c’était l’expression qu’il avait le plus souvent arborée toutes ces années que Jarlaxle et lui avaient passées ensemble ; c’était aussi celle que son compagnon espérait voir disparaître à jamais grâce à la flûte d’Idalia.

Il avait fait tant de progrès, se lamentait en silence le drow, jusqu’à ce que cette femme stupide le trahisse et brise son cœur mis à nu. Pire, le drow savait (mais Entreri l’ignorait) que Calihye n’avait pas même voulu l’attaquer. Fragilisée sur le plan émotionnel, tiraillée entre les différentes personnes auxquelles elle était loyale et effrayée à l’idée de quitter les Terres héliotropes, la jeune femme n’avait agi que sous le coup d’une impulsion. Elle n’avait pas frappé Artémis Entreri par ruse, comme elle aurait pu le faire dans les premiers jours de leur relation ; son geste lui avait été dicté par la terreur, le chagrin et une angoisse qu’elle ne parvenait pas à surmonter.

Jarlaxle espérait qu’un jour Artémis Entreri le comprendrait, mais il en doutait profondément. Pourtant, Calihye se trouvait en sécurité sous la garde de Bregan D’aerthe, et le drow savait qu’il ne fallait jamais dire « jamais ».

Des problèmes plus pressants, bien sûr, les assaillaient dans la cité infernale de Memnon. Entreri était rentré chez lui, même si Jarlaxle n’était pas très sûr de la signification de ces mots. Il jeta un coup d’œil derrière lui à son compagnon morose, qui semblait totalement se désintéresser de lui, comme de tout ce qui l’entourait. Entreri se tenait droit sur sa chaise, les yeux ouverts, mais il n’était pas plus conscient, songea Jarlaxle, que le nain qui hoquetait dans un coin de la pièce.

D’un geste lent et assuré de ses mains, l’elfe noir retira l’une des petites fioles de potion de la bourse de sa ceinture. Il la considéra pendant un long moment, se haïssant d’avoir encore à manipuler autant son ami.

Cette émotion le surprit : quand, de toute sa vie, avait-il déjà éprouvé un tel sentiment ? Peut-être lorsqu’il avait trahi Zaknafein des siècles auparavant ?

Il regarda de nouveau Entreri et eut l’impression de voir son ancien compagnon drow.

Il devait le faire, se rappela-t-il, et avant toute chose pour Entreri.

Il avala le breuvage.

Jarlaxle ferma les yeux pour laisser agir la magie dans son corps et son esprit, et commença à « entendre » les pensées de ses compagnons. Il songea à la vie de Kimmuriel, qui connaissait en permanence cet état de perception intensifiée et, l’espace d’un instant, plaignit sincèrement le psioniste.

Il secoua la tête puis poussa un profond soupir, se rappelant qu’il n’avait pas de temps à perdre dans de telles considérations. L’enchantement ne durerait pas très longtemps.

— Alors tu vas me dire où tu es allé hier ? demanda-t-il en se tournant pour faire face à l’humain.

Entreri leva les yeux vers lui.

— Non, répondit-il.

Mais d’ores et déjà, il en avouait beaucoup à Jarlaxle, car la question avait suscité des souvenirs des événements des jours précédents : des images de la rue dans laquelle il s’était rendu, d’un vieillard gisant à terre, éviscéré, d’un autre homme.

Son père ! Non, celui qu’il avait pensé être son père, qu’il avait connu comme tel toute sa vie.

— Tu es venu ici pour retrouver ta mère. Cela, je le sais, osa dire Jarlaxle, bien que l’expression d’Entreri se soit faite plus menaçante dès l’instant où le drow fit allusion à la défunte.

Ce n’est pas l’image d’une femme qui s’imposa à l’esprit de Jarlaxle, mais un panorama.

— Je t’ai déjà dit que tout cela n’était pas tes affaires, rétorqua Entreri.

— Pourquoi repousser un allié ? s’enquit Jarlaxle.

— Tu ne peux pas m’aider.

— Bien sûr que si.

— Non !

Le drow se redressa, soudain assailli par un mur couleur rouge. Il ressentit la colère d’Entreri de manière plus vive que jamais par le passé, une lame de rasoir frisant la rage meurtrière. Les images arrivaient trop vite pour qu’il puisse les trier et s’en saisir. Il remarqua que beaucoup concernaient des prêtres, la Maison du Protecteur, l’achat d’indulgences sur la place.

Puis la haine.

Sans s’en rendre compte, Jarlaxle leva une main comme pour se protéger, bien qu’Entreri n’ait esquissé aucun mouvement.

Le drow secoua la tête et vit que son compagnon l’observait avec curiosité.

— Que manigances-tu ? demanda-t-il, manifestement soupçonneux.

— Assez grand pour enfouir ma tête entre les seins d’une femme ! gronda une voix sur le côté.

Jarlaxle fut véritablement soulagé par l’interruption opportune.

Entreri jeta un regard à Athrogate, puis se leva d’un bond, renversant sa chaise. Il fit le tour de la table et, sans détacher les yeux de ceux de Jarlaxle, quitta la maison.

— Qu’est-ce qui lui met les nerfs en pelote ? demanda Athrogate.

Jarlaxle se contenta de sourire, heureux que les effets de la potion se dissipent déjà. En effet, il ne voulait surtout pas se laisser submerger par les images qui passaient dans la tête d’Athrogate !

 

* * *

 

Peu de vie animait les versants balayés par le vent des montagnes brunes du sud de Memnon. À l’exception de quelques lézards, immobiles au soleil ou se faufilant entre les rochers. Jarlaxle sut que sous la surface, dans les fissures ou les cavernes profondes formées par les bizarreries de la pierre, la vie se frayait un chemin.

Il en allait toujours ainsi, sous le soleil du désert ou dans les fosses de l’Outreterre, privées de la lumière des étoiles.

Un escalier avait été creusé dans le roc sur trois mètres environ, mais Jarlaxle ne l’emprunta pas. Il se plaça sur le côté, à un endroit où il était à couvert et pencha son chapeau pour activer ses facultés de lévitation. Marchant et flottant à la fois sur la surface du rocher, il s’approcha du sommet. Il s’arrêta soudain pour regarder derrière lui en direction du port et acquiesça en reconnaissant le panorama auquel les pensées d’Entreri lui avaient donné accès.

Persuadé qu’Entreri se tenait de l’autre côté du rocher, Jarlaxle se baissa et progressa vers la cime.

Derrière se trouvait un carré plat de terrain sablonneux, plus grand que ce que le drow avait imaginé. Il était jonché de nombreuses petites pierres érodées par le temps, d’anciennes pierres tombales, observa Jarlaxle. Au sud, il aperçut un tas recouvert d’une bâche.

Des corps attendant d’être enterrés.

Entreri, en effet, se trouvait là, et marchait entre les stèles, les yeux rivés au sable, manifestement perdu dans ses pensées. Seul un autre homme était présent, à la limite la plus à l’ouest, un prêtre de Séluné, les yeux dirigés vers le port en contrebas.

C’était le cimetière des pauvres, où la mère d’Entreri était probablement enterrée, supposa Jarlaxle. Il se replia vers l’autre extrémité du rocher, contre lequel il appuya son dos, et réfléchit. Son ami traversait une véritable tempête. En entamant le mur d’émotions d’Entreri, Jarlaxle lui avait donné accès à des souvenirs douloureux.

Il retourna à sa position précédente et jeta un dernier regard à son ami, se demandant ce qui pourrait bien advenir.

Il redescendit par lévitation, la culpabilité pesant lourdement sur ses minces épaules.

 

* * *

 

— Tu ne trouveras pas de noms sur ces pierres, dit le prêtre à Entreri tandis que l’assassin traînait sur les lieux et se rapprochait de plus en plus de lui.

Entreri leva les yeux et remarqua le religieux, celui qui était en charge de la collecte des indulgences sur la place ce jour-là. Il ne prit véritablement conscience de sa présence qu’à cet instant, tant il avait été absorbé par sa méditation sur la terre sale et les âmes qui y étaient enterrées. Il remarqua la posture défensive de l’inconnu et comprit qu’il se sentait menacé. Il haussa les épaules et s’éloigna un peu.

— Ce n’est pas souvent qu’un homme de ta qualité vient ici, insista le prêtre.

Entreri se tourna vers lui et le regarda de nouveau.

— Ce que je veux dire, c’est que ces misérables créatures n’ont pas beaucoup de visiteurs, poursuivit l’autre. La plupart sont anonymes, sans famille, sans amis…

Il conclut ses propos par un ricanement condescendant, qui disparut rapidement devant l’air méprisant d’Entreri.

— Pourtant, tu écris leurs patronymes sur tes rouleaux lorsqu’ils te donnent leurs pièces sur la place, fit remarquer l’assassin. Es-tu ici pour prier pour eux ? Pour effectuer les indulgences qu’ils ont achetées à ta table ?

Le prêtre s’éclaircit la voix et déclara :

— Je suis le dévot Gositek.

— Tu te méprends si tu crois que cela m’intéresse.

— Je suis un prêtre de Séluné, protesta l’homme.

— Tu n’es qu’un charlatan qui vend de faux espoirs.

Gositek se ressaisit et lissa sa toge.

— Attention à ce que tu dis…, l’avertit-il, s’enquérant du nom d’Entreri par son expression et l’inflexion de sa voix.

L’assassin, silencieux, ne cilla pas. C’était tout ce qu’il pouvait faire pour éviter de bondir à la gorge du prêtre et de jeter cet imbécile depuis le haut de la falaise.

Entreri se rappela qu’il était désireux d’éviter toute action imprudente. Le religieux était au bas mot deux fois plus jeune que lui et n’aurait pu être impliqué avec sa mère de quelque manière que ce soit.

— Comme je l’ai dit, je suis le dévot Gositek, répéta l’homme, qui semblait reprendre de l’assurance devant l’absence de réaction d’Entreri. Un scribe des plus appréciés par le Doyen des prêtres, Yozumian Dudui Yinochek, la Propre voix bénie elle-même. Modère tes propos à mon égard, sinon il t’en cuira. Nous dirigeons la Maison du Protecteur. Nous sommes l’espoir et les prières de Memnon.

Il continua à pérorer, mais Entreri l’écoutait à peine, car ce nom, Yinochek, évoquait en lui des souvenirs.

— Quel âge a-t-il ? demanda-t-il en interrompant l’imbécile.

— Quoi ? Qui ?

— Cet homme, cette Propre voix bénie.

— Yinochek ?

— Quel âge a-t-il ?

— Pourquoi ? Je ne sais pas exactement…

— Quel âge a-t-il ?

— Soixante ans, peut-être ?

La réponse sonnait comme une question.

Entreri acquiesça tandis qu’il se rappelait un jeune prêtre passionné, un prodige oratoire, une voix bénie, qui avait souvent prononcé d’ardentes homélies depuis le balcon de la Maison du Protecteur. Il se souvint d’avoir assisté à certaines d’entre elles aux côtés de sa mère, qui avait les yeux brillants et le cœur léger.

— Cet homme est-il depuis longtemps à la Maison du Protecteur ? s’enquit Entreri. Et on le surnomme la Propre voix bénie…

— Depuis le début, confirma Gositek. Et oui, il était jeune homme lorsqu’il a rejoint les prêtres de Séluné. Pourquoi ? As-tu entendu parler de lui ?

Entreri fit volte-face et s’en alla.

— Tu as vécu ici, lui cria Gositek, mais Entreri ne s’arrêta pas.

— Comment s’appelait-elle ? demanda le prêtre, intuitif.

Entreri s’arrêta et se retourna vers lui.

— La femme que tu cherches ici, expliqua le religieux. C’est bien une femme ? Quel était son nom ?

— Elle n’avait pas de nom, répondit Entreri. Pas un nom dont tu te souviendrais. Cherche autour de toi pour trouver tes réponses. Regarde tous les patronymes, car ils sont gravés sur chaque pierre tombale.

Gositek se redressa.

Entreri quitta le cimetière.

 

* * *

 

Entreri jeta à peine un coup d’œil à Jarlaxle lorsqu’il prit le sac d’or.

— Je t’en prie, dit le drow, sur un ton plus amusé que sarcastique.

— Je sais, fut tout ce qu’il obtint en retour.

L’irritation d’Entreri ne surprenait pas à proprement parler Jarlaxle.

— Je vois que tu arbores ton chapeau aujourd’hui, lança-t-il. (Il essayait d’améliorer l’humeur de son compagnon et faisait référence à un couvre-chef noir à bord fin qu’il avait offert à Entreri ; l’objet, doté de nombreuses propriétés magiques, ne pouvait cependant pas rivaliser avec le somptueux chapeau du drow.) Tu ne l’as pas porté souvent.

Entreri l’observa. Le couvre-chef était bien ajusté, grâce à un mince fil métallique placé sous le ruban. Entreri leva la main et trouva le mécanisme enchanté, juste au-dessus de sa tempe gauche. D’un mouvement rapide des doigts, il le désactiva et, d’un tour de poignet, ôta le chapeau, avant de le lancer en direction de Jarlaxle, comme si le rappel de sa provenance lui avait enlevé tout désir de le porter.

Ce n’était pas cela, bien sûr, Jarlaxle le comprit parfaitement. Entreri avait obtenu exactement ce qu’il voulait de l’objet, qui était beaucoup moins rigide sans son fil métallique. Repousser le drow était une sorte de bonus.

Entreri le considéra pendant un moment encore, puis souleva le petit sac d’or et sortit de la maison.

— Un cafard a dû lui remonter par le trou de balle la nuit dernière, déclara Athrogate.

Il se leva du sol et s’étira pour faire disparaître les douleurs de ses vieux muscles noueux.

Sans détacher le regard de son compagnon qui s’éloignait, Jarlaxle fit rouler le chapeau dans sa main et répondit :

— Non, mon ami hirsute, il s’agit d’un mal bien plus profond. Artémis a été contraint de se rappeler son passé et est désormais confronté à la vérité de son existence. Souviens-toi de la façon dont tu évoquais la citadelle Felbarr.

— Je t’ai dit que je voulais pas en parler.

— C’est exactement ce que je t’explique. À la différence qu’Artémis ne l’exprime pas. Il le vit, dans son cœur. Nous en sommes responsables, je le crains, lorsque nous lui avons donné la flûte. (Le drow finit par se retourner en direction du nain.) Et nous devons l’aider à traverser cette épreuve.

— Nous ? T’es doué, l’elfe, pour utiliser ce mot. Pour sûr, si je savais de quoi il s’agit, peut-être que j’accepterais de t’assister. Mais bon, je crois aussi que si j’y consens, je vais me retrouver encore dans de gros ennuis par ta faute.

— C’est vraisemblable.

— Bwahaha !

Jarlaxle sut qu’il pouvait compter sur lui.

 

* * *

 

Ce matin-là, comme presque tous les jours, la scène qui se déroulait sur la place présentait de nombreuses similitudes avec les événements auxquels Entreri et Jarlaxle avaient déjà assisté. Le pavé était presque invisible sous les hordes de paysans accroupis et les longues files menant aux deux tables disposées de part et d’autre de l’immense portail de la Maison du Protecteur.

Lorsqu’ils arrivèrent sur les lieux, Jarlaxle et Athrogate n’eurent aucun mal à localiser Artémis Entreri parmi la foule des nécessiteux. Il patientait pour atteindre la table la plus éloignée, ce qui parut étrange à Jarlaxle jusqu’à ce qu’il remarque le prêtre qui y était assis, celui qu’il avait vu dans le cimetière des pauvres la veille. Entreri se demanda s’il avait établi un lien avec cet homme.

Athrogate sur les talons, le drow coupa la première file de paysans parmi lesquels il se fraya un chemin pour rejoindre son compagnon. Ceux qu’il doubla contestèrent immédiatement, ou plutôt commencèrent à émettre des protestations ; mais Athrogate leur aboya dessus. Avec ses morgensterns si visibles et son visage marqué par une centaine d’années de combats, le nain n’eut aucun mal à faire taire la grogne.

— Va-t’en, dit Entreri à Jarlaxle.

— Je manquerais à tous mes devoirs…

— Va-t’en, répéta l’assassin.

Il tourna la tête pour plonger ses yeux dans ceux de l’elfe. Jarlaxle soutint son regard quelques instants, suffisamment longtemps pour que la file diminue devant eux et que, lorsque Entreri détourna le regard, il se trouve quasiment devant la table. Il grogna d’un ton dédaigneux, mais Jarlaxle ne recula pas de plus de quelques pas.

— D’abord au cimetière et maintenant ici, déclara le prêtre, Gositek, lorsque le tour de l’assassin arriva. Vraiment, m’es un homme surprenant.

— Plus que tu l’imagines, répondit Entreri.

Il déposa le sac d’or sur la table, qui fut ébranlée sous son poids. Le haut de la besace s’ouvrit un peu pour révéler le métal jaune et brillant. Un sursaut collectif saisit les paysans qui se tenaient derrière Entreri et, face à lui, le religieux écarquilla tellement les yeux qu’ils semblaient vouloir sortir de leurs orbites pour rouler sur les pièces.

Dans le dos de Gositek, les gardes s’avancèrent pour contenir la foule.

— Tu essaies de provoquer une émeute ? finit par bredouiller Gositek, dans un souffle.

— J’achète une indulgence, répliqua Entreri.

— Le cimetière…

— Pour un nom depuis longtemps oublié par les prêtres de Séluné et leurs maudites promesses.

— Que… que veux-tu dire ? bafouilla Gositek.

Il entreprit de resserrer la ficelle autour du sac pour cacher l’or avant qu’il cause une débandade. Cependant, lorsqu’il tenta de tirer la besace vers lui, la main de fer d’Entreri saisit avec force et rapidité son poignet, le stoppant net.

— Oui, le n-n-nom… ? bégaya Gositek. (Il se tourna vers le scribe, assis, bouche bée, le regard stupide.) Note le nom et une grande indulgence…

— Je ne veux pas avoir affaire à toi, ordonna Entreri.

Gositek lui jeta un coup d’œil hébété.

— Je compte acheter cette indulgence auprès de la Propre voix bénie elle-même, expliqua Entreri. Il recevra l’or en personne, notera le nom en personne et récitera les prières en personne.

— Mais ce n’est pas…

— C’est cela ou rien, dit Entreri. Crois-tu pouvoir aller trouver ta Propre voix bénie une fois que je serai reparti avec mon or et lui expliquer pourquoi tu ne m’as pas autorisé à le voir ?

Gositek, nerveux, s’agita sur sa chaise, se passa la main sur le visage et humecta ses lèvres fines.

— Je n’ai pas l’autorité nécessaire, réussit-il à articuler.

— Alors va la chercher.

Le prêtre se tourna vers son scribe et les gardes, qui tous, impuissants, secouaient la tête. Gositek finit par ordonner à un soldat d’y aller ; celui-ci obtempéra sur-le-champ.

La file commença à s’agiter derrière Entreri, mais il ne bougea pas jusqu’au retour de la sentinelle. Cette dernière attira le religieux à l’écart et lui murmura quelque chose à l’oreille, puis le dévot regagna la table et s’y assit.

— Tu as de la chance, déclara-t-il, car la Propre voix bénie est dans sa salle d’audience en ce moment même et son emploi du temps lui laisse quelques disponibilités. Pour une indulgence importante…

— Pour un sac de pièces d’or, corrigea Entreri.

Gositek se racla la gorge et s’abstint d’argumenter sur ce point.

— Il va te recevoir.

Entreri leva la besace et s’écarta de la table, avant de se diriger vers la porte, où il fut bloqué par des gardes.

— Tu ne peux faire entrer des armes dans la Maison du Protecteur, expliqua Gositek qui s’était relevé et avait rejoint Entreri. Ni aucun accessoire magique. Je suis désolé, mais pour la sécurité de…

Entreri défit sa ceinture d’armes et la tendit à Jarlaxle qui s’était avancé. Athrogate, toujours en retrait, retenait la foule des paysans de son air menaçant.

— Vais-je devoir me déshabiller ici ? demanda Entreri, retirant sa piwafwi de ses épaules.

Gositek fit un faux pas.

— À l’intérieur, dit-il, faisant signe au garde d’ouvrir la porte.

Entreri entra avec le prêtre, Jarlaxle, et Athrogate sur leurs talons.

— Ta ceinture, ordonna Gositek. Et tes bottes.

Entreri enleva sa ceinture dont le drow se saisit, puis retira ses bottes pendant que le prêtre commença à lancer un sort. Lorsqu’il eut terminé, il balaya du regard Entreri de la tête aux pieds, et lui demanda d’ouvrir sa chemise. D’un signe de la tête, il somma un garde robuste de fouiller l’assassin.

Quelques instants plus tard, vêtu simplement de son pantalon et de sa chemise, un sac d’or à la main, Entreri fut escorté par deux soldats en armure ; il passa par d’autres portes, puis disparut à l’intérieur de la Maison du Protecteur. Dans l’antichambre, Jarlaxle rassembla ses affaires.

Gositek fit signe à l’elfe et au nain de partir.

— Ce sac d’or n’est pas le seul que nous détenons, déclara Jarlaxle au pauvre prêtre qui ne savait que dire.

Comme il remarquait l’intérêt manifeste de son interlocuteur, Jarlaxle referma la porte.

— Laisse-moi t’expliquer, dit-il d’un ton doucereux.

Quelques instants plus tard, la foule commença à s’agiter, mal à l’aise, lorsque le dévot Gositek sortit du bâtiment.

— Occupez-vous d’eux, ordonna-t-il au scribe et aux deux gardes.

Une nuée de protestations monta parmi les paysans, mais l’homme leva la main et leur jeta un regard sévère qui les réduisit au silence. Puis il disparut de nouveau dans le bâtiment.

 

* * *

 

Tandis que les deux sentinelles, dans leurs lourdes armures qui cliquetaient, l’escortaient dans le palais dénommé Maison du Protecteur, les pensées d’Artémis Entreri ne cessaient de le ramener à l’époque où il se trouvait à Portcalim et servait le Pacha Basadoni. Il n’y avait que là-bas qu’Entreri avait vu autant d’or et d’argent, d’artefacts en platine et de tapisseries tissées par les plus grands artistes du moment. Il n’y avait que là-bas qu’Entreri avait assisté à un tel étalage de splendeurs et une telle accumulation de richesses. Il était à peine surpris par les décorations ostentatoires. Chaque tableau et chaque statue valait davantage que ce que la plupart des gens rassemblés sur la place gagneraient dans toute leur vie, même en mettant leurs salaires en commun.

Entreri ne connaissait que trop ce scénario. Les richesses allaient toujours vers les puissants, s’accumulant dans les mains de quelques-uns. C’est ainsi que marchait le monde, et cet état de faits, qu’il soit facilité par les menaces et les intimidations des pachas de Portcalim ou les extorsions plus subtiles et insidieuses des prêtres, n’étonnait plus l’assassin depuis longtemps. En outre, tout cela lui importait peu, à ceci près que…

À ceci près que cette secte avait extorqué à sa mère ce qu’elle avait de plus précieux, elle qui gisait, depuis longtemps oubliée, dans un carré de terre sablonneuse, cachée à la vue de tous.

Il jeta un regard aux sentinelles qui l’escortaient. Elles constitueraient sa dernière suite, il le savait, car il vivait son dernier jour.

Qu’il en soit ainsi.

Il parvint dans un immense hall, aux plafonds hauts de plus de dix mètres, comportant deux rangées de gigantesques colonnes sculptées et recouvertes de feuilles d’or. Entre les piliers était déroulé un grand tapis étroit rouge vif le long duquel, espacés de quelques pas les uns des autres, des soldats du temple montaient la garde, vêtus de cottes de mailles brillantes et flanqués de hallebardes de deux fois leur taille, dont la pointe était ornée des bannières du doyen des prêtres et de son dieu Séluné.

Celui-ci, le Doyen Yinochek, la Propre voix bénie de Séluné, était assis à l’extrémité du tapis, à peut-être une trentaine de mètres, dans un trône de bois dur poli, garni de coussins blancs striés de rose et de rouge. Il portait une toge volumineuse, piquée de fil d’or, et sa tête était surmontée d’une couronne ornée de magnifiques pierres précieuses. Comme le constata Entreri, il devait avoir la soixantaine ou un peu plus, mais ses yeux étaient vifs et sa silhouette encore vigoureuse et musclée. Il lui sembla même retrouver certains de ses propres traits chez cet homme, mais il chassa bien vite cette idée désagréable.

Trois religieux se trouvaient devant le siège, deux à droite et un à gauche, à demi tournés pour surveiller l’approche de l’inconnu au sac d’or.

Entreri sentit le poids de leurs regards, leurs soupçons manifestes et, l’espace d’un instant, il crut que son jeu était trop évident et ses intentions trop claires. Le fil métallique du ruban du chapeau lui enserrait les tempes et il faillit presque lever le bras pour l’ajuster sous ses cheveux noirs.

Mais il s’en empêcha, puis se moqua de lui-même en secouant la tête ; il observait les alentours, se souvenant de qui il était. Il n’était pas, il n’était plus, le bâtard pauvre qui traînait dans les rues sales.

— Je suis venu acheter une indulgence, déclara-t-il.

— C’est ce que nous a rapporté le dévot Gositek, répondit l’un des prêtres qui se trouvait devant le trône, mais Entreri lui signifia son désintérêt d’un geste de la main.

— Je suis venu acheter une indulgence, répéta-t-il, les yeux fixes et le doigt pointé sur le doyen des prêtres, la Propre voix bénie, assis sur son siège.

Les quatre religieux échangèrent des regards, mal à l’aise et furieux.

— C’est ce dont on nous a informés, répondit le Doyen Yinochek. Raison pour laquelle nous t’accueillons dans cette demeure, un endroit où peu de laïcs ont eu le privilège de pénétrer. Et tu t’adresses directement à moi, comme tu l’as souhaité. (Il fit un signe en direction du sac d’or.) Le dévot Tyre ici présent va noter le nom de la personne pour laquelle tu désires que nous invoquions les dieux.

— Tu les imploreras pour elle en personne ? s’enquit Entreri.

— Ton indulgence le vaut, à ce qu’on ma dit, répondit Yinochek. Je te demande de nous confier le sac et son nom. Prends ensuite congé en étant réconforté : la Propre voix bénie de Séluné va prier pour cette femme.

Entreri secoua la tête ; il conservait le sac d’or près de sa poitrine.

— C’est plus que ça.

— Plus ?

— Elle s’appelle, enfin s’appelait, Shanali, déclara-t-il.

Il s’interrompit, dévisageant son interlocuteur avec intensité, à la recherche d’une lueur de reconnaissance.

Mais Yinochek ne lui donna pas cette satisfaction. Si le doyen des prêtres connaissait ce nom, rien ne le trahit et, quand Entreri, de façon rationnelle, songea que trente ans avaient passé, il ne put que s’adresser des reproches silencieux. Cet homme s’enquérait-il seulement du nom des femmes avec lesquelles il couchait ? Quand bien même cela aurait été le cas, au dire de la vieille femme, Yinochek ne pouvait vraisemblablement pas toutes se les rappeler, et Entreri savait au plus profond de son cœur qu’elle lui avait raconté la vérité.

— C’était ma mère, lança Entreri.

Les regards qui lui furent retournés étaient empreints d’ennui, et non d’intérêt.

— Elle est décédée ? demanda Yinochek. Comme la mienne. C’est la façon…

— Elle est morte depuis trente ans, l’interrompit Entreri.

Yinochek le foudroya des yeux ; les trois autres prêtres et plusieurs gardes s’irritèrent du fait que cet homme ose interrompre ainsi la Propre voix bénie de Séluné.

Mais Entreri poursuivit.

— C’était une jeune fille ; elle avait moins de la moitié de mon âge.

— C’était il y a longtemps, constata Yinochek.

— Je suis resté absent longtemps, répondit l’assassin. Shanali, Ce nom te rappelle-t-il quelque chose ?

L’homme leva les mains dans un geste d’impuissance et considéra les autres religieux, qui manifestement partageaient sa perplexité.

— Cela devrait ?

— Elle était connue des prêtres de la Maison du Protecteur, d’après ce qu’on ma raconté.

— Une femme noble ? demanda Yinochek. Mais on m’a informé que tu t’es rendu au cimetière du…

— Plus noble que vous tous rassemblés dans cette pièce aujourd’hui, l’interrompit de nouveau Entreri. Elle a fait ce qu’il fallait pour survivre et pour s’occuper de moi, son enfant unique. À mes yeux, c’est une ligne de conduite noble.

— Naturellement, riposta Yinochek, qui parvenait bien (mieux en tout cas que les autres religieux) à dissimuler son amusement face à cette proclamation.

— Même si cela impliquait de se prostituer pour les prêtres de la Maison du Protecteur, ajouta Entreri. (L’hilarité cessa sur-le-champ.) Mais tu ne te souviens pas d’elle, bien sûr, bien que tu aies vraisemblablement été là à l’époque.

Yinochek se contenta de toiser Entreri pendant un long, un très long moment.

— Elle est morte depuis fort longtemps, finit-il par dire. Il est certain qu’elle a dépassé le Plan de Fugue, quoi qu’il soit arrivé. Garde ton indulgence pour toi, enfant impertinent, je t’en prie.

Entreri gronda.

— Des prières pour un dieu qui autorise les religieux, même une Propre voix bénie, à voler la dignité des femmes du troupeau qui leur est confié ? demanda-t-il. Des prières pour Séluné, dont les représentants forniquent avec des jeunes filles qui meurent de faim ? Crois-tu que je pourrais désirer ce type d’oraisons ? Mieux vaut s’adresser à Dame Lolth, qui au moins reconnaissait toute la vilenie de son clergé.

Yinochek tremblait de rage. Les gardes qui encadraient Entreri s’avancèrent, prêts à faire usage de leur arme.

— Laisse ton or et va-t’en ! exigea la Propre voix bénie. Il servira à acheter ta vie et rien d’autre. Réjouis-toi du fait que je me sente d’humeur généreuse.

— Va sur ton balcon, rétorqua Entreri. Regarde-les, Voix impie. Combien sont de toi ? Comme moi peut-être ?

— Qu’on le fasse sortir ! rugit l’un des prêtres qui se trouvaient devant le trône, mais Yinochek se leva soudain et cria pour couvrir leurs hurlements à tous :

— Suffit ! Tu as atteint les limites de ma patience. Quel est ton…

Les cheveux d’Entreri commencèrent à le démanger. Il examina la situation, compta les enjambées, calcula le temps que ses mouvements pouvaient prendre. Il s’interrompit, lorsque la porte s’ouvrit dans un grand bruit, comme si elle avait été poussée du pied en hauteur.

— Attendez ! Pardonnez-moi et accordez-moi un instant, Propre voix bénie, déclara le dévot Gositek en se précipitant dans la pièce. (Il tenait un chapeau à plume à large bord, celui de Jarlaxle.)

» Notre ami ici présent est bien plus qu’il y paraît, avec ses amis elfes qui sont eux aussi bien plus qu’il y paraît, poursuivit l’homme. (Il tira ensuite quelque chose du couvre-chef : un disque de tissu noir.) Bien plus qu’il y paraît, répéta-t-il.

Entreri resta bouche bée devant la référence, l’allusion. Il tenait la diversion dont il avait besoin.

Yinochek se rassit.

— Comment oses-tu nous interrompre ? demanda-t-il.

Gositek tenait le cercle d’étoffe, vers lequel convergeaient de nombreux regards curieux.

Entreri bondit sur le côté et frappa de son sac d’or le casque du garde, envoyant l’homme à terre. Lorsqu’il tomba, Entreri se saisit de sa hallebarde, la fit pivoter et la lança dans le ventre du soldat qui lui faisait face ; celui-ci se plia en deux sous l’effet du choc. Ses pieds déjà en mouvement, il chargea en direction du trône et quand l’un des trois prêtres fut assez rapide pour réagir et lui bloquer le passage, il lui jeta la besace au visage. Des pièces volèrent, du sang gicla et le prêtre tomba à la renverse, d’autant plus violemment qu’Entreri lui envoya son pied nu en pleine poitrine, avant de lui sauter par-dessus.

En une enjambée, il parcourut la distance qui le séparait du siège, tandis que, de sa main levée, il actionnait le nœud coulant du fil métallique dissimulé sous ses cheveux. Il le fit tourner et attrapa l’extrémité libre de son autre main et, les poings tendus devant lui, fondit sur sa proie. Yinochek leva les deux bras dans un geste défensif, mais Entreri bondit bien avant qu’il tente de le bloquer, écarta les mains et roula par-dessus son épaule. Il fit un saut périlleux et pivota, leva le bras puis prit appui sur la tête du prêtre. Lorsque ses pieds touchèrent de nouveau terre, il était dos à dos avec le religieux et lui avait passé le fil métallique (autrement dit, le garrot) autour de la gorge.

Entreri se servit de son élan pour arracher l’homme à son trône, espérant lui briser net le cou pour en terminer.

Mais Yinochek se montra plus obstiné et rapide que prévu : il parvint à se laisser porter par le mouvement. Il était encore en vie, et Entreri, derrière lui, tirait de toutes ses forces sur le fil métallique qui lui enserrait l’encolure.

Cela va prendre trop de temps, craignait Entreri, qui s’attendait à ce que les gardes et les prêtres se jettent sur lui.

Cependant, après avoir regardé derrière lui, il poursuivit son geste avec détermination et espéra en finir immédiatement.

 

* * *

 

Alors même qu’Entreri avait commencé à agir, alors même qu’il avait plongé à droite en direction du garde, l’homme sur le tapis derrière lui, le dévot Gositek d’après les apparences, lança le morceau de tissu oblong en l’air. L’étoffe s’allongea en tournant, s’élargissant de plus en plus et vint se placer sur le côté de l’une des gigantesques colonnes du vestibule.

Il ne s’agissait plus d’un morceau de tissu, mais d’un trou portable magique, une poche dimensionnelle. De l’intérieur de l’abîme, quasiment au moment où l’objet heurta le mur, se firent entendre du bruit et un cri.

— Grognard !

Les hommes d’armes qui se trouvaient le plus près du mur tombèrent à la renverse lorsque des flammes surgirent de l’obscurité, suivies d’un sanglier rouge, crachant du feu, chevauché par un fougueux nain velu. Il passa entre les soldats, fit tournoyer ses morgensterns à gauche et à droite, avant d’en frapper violemment les deux gardes qu’il bouscula.

Dans toute la pièce, les soldats et les prêtres commencèrent enfin à réagir, avant d’être saisis de nouveau par la surprise lorsque le dévot Gositek, la main sous son menton, ôta son masque magique et dévoila toute la splendeur de sa peau d’ébène.

Jarlaxle jeta son chapeau au sol, après en avoir retiré la plume magique qu’il jeta. Traçant des courbes de ses doigts, il invoqua des dagues grâce à ses serre-poignets enchantés et les lança en flux continu en direction du garde le plus proche. Ces mouvements ne l’empêchaient pas de suivre ce qui se passait et il aperçut Entreri agenouillé derrière la Propre voix bénie, qui était assis ail sol, tentant d’agripper l’assassin et le fil métallique qui s’enfonçait dans sa gorge.

D’une pensée, Jarlaxle invoqua ses aptitudes magiques innées et fit apparaître une sphère de ténèbres au-dessus des deux hommes.

L’armure des soldats de la Maison du Protecteur était magnifiquement ouvragée et présentait peu de zones de vulnérabilité, de sorte que le tir de défense du drow ne provoqua que peu de dégâts. Quand la sentinelle en prit conscience, elle rugit et abaissa sa hallebarde.

Jarlaxle fit claquer tour à tour ses poignets et allongea les dagues en épées. L’une était à peine dégainée qu’il s’en servit pour parer un coup, fit tourner l’arme de son ennemi et bondit en avant et sur le côté, afin d’éviter son adversaire qui vacillait.

Le drow exécuta une vrille parfaite ensuite, du revers de la main, il assena un uppercut qui lui permit d’introduire sa fine lame sous le bord du casque du garde, puis dans son crâne.

Jarlaxle rétracta son arme presque immédiatement et bondit sur le côté. Il gagna un peu de temps en trouvant la lanière de destruction d’Athrogate, tandis que la sentinelle tombait à terre, agitée de soubresauts et portant ses mains à la blessure cruelle.

 

* * *

 

Artémis Entreri comprit l’objectif de Jarlaxle quand il invoqua la sphère de ténèbres, mais il ne lui convenait pas.

Pas encore.

Il voulait voir le visage de Yinochek.

Il roula ses jambes sous son corps et se souleva vers l’arrière, entraînant sa cible à l’extérieur de la sphère. Lorsqu’il parvint à la limite arrière de la zone sombre, il aperçut l’un des prêtres, le dévot Tyre, qui suivait chacun de ses mouvements et agitait les mains pour jeter un sort. Très expérimenté en magie d’ecclésiastique, Entreri sut ce qui allait se produire et ne fut pas le moins du monde pris au dépourvu lorsqu’il fut submergé par des vagues d’énergie enchantée capables d’immobiliser un homme aussi sûrement qu’une paralysie soudaine.

Entreri sentit ses bras se rigidifier et son corps commencer à le trahir.

Mais il invoqua une image de Shanali, la dernière qu’il avait d’elle, et imagina le religieux qui se tenait devant lui allongé sur elle, comme un animal en rut, et la considérant comme tel.

Il resserra son emprise sur Yinochek qui émit un gémissement pitoyable.

Mais les trois autres prêtres, flanqués de deux gardes, arrivaient droit sur lui et, derrière eux… un oiseau gigantesque !

 

* * *

 

Grognard martelait le sol ; des flammes, en cercles parfaits, sortaient de ses naseaux, créant une diversion auprès des sentinelles avant que celles-ci soient frappées par Athrogate en furie. De ses jambes puissantes, il enserra l’animal et le fit pivoter en direction d’un autre groupe d’hommes afin de répéter la manœuvre.

Mais les gardes, tous bien entraînés, ne s’enfuirent pas devant le feu et abaissèrent leur hallebarde. Athrogate réussit à en pousser un de côté, mais l’autre soldat l’atteignit juste au-dessus de la jointure latérale de son plastron métallique. La pointe fine pénétra la doublure de cuir et l’aisselle du nain ; celui-ci fut projeté en arrière, et laissa Grognard s’enfuir.

Il tomba durement au sol, cassant le manche de la hallebarde, avant d’arquer le dos et de bander les muscles dans une vigoureuse contraction qui lui permit de se remettre debout et de contenir la charge. Athrogate reprit confiance en constatant que la hallebarde de son adversaire s’était brisée, mais cet espoir fut de courte durée, car la sentinelle, en un mouvement fluide, tira une épée et fit glisser un bouclier depuis son dos. L’homme fonçait sur lui comme s’il comptait le renverser.

La seconde sentinelle arriva par l’autre côté et, elle aussi, substitua à son arme une lame et un écu.

Athrogate constata qu’il pouvait à peine lever le bras droit et que du sang coulait abondamment le long de son corps.

 

* * *

 

Métal contre métal, dans un cliquetis incessant, près de la porte, le drow bataillait contre deux gardes, qui bientôt furent rejoints par deux autres. Jarlaxle avait opté pour une stratégie défensive, à base de plongeons soudains ; il utilisait son armure légère et sa grande agilité pour tenir à distance les sentinelles, même s’il avait peu d’espoir de blesser sérieusement l’un de ses quatre adversaires expérimentés. Ses épées s’abattaient dans toutes les directions, de façon aléatoire semblait-il, mais presque toujours pour parer un coup ou repousser un ennemi.

Du couloir lui parvenaient de nombreux cris ; les soldats reprirent courage.

Le drow aussi. De nouveau, il s’élança, s’assurant que les renforts qui approchaient pouvaient voir le combat depuis le couloir et le distinguer lui aussi, un drow. Il voulait retenir leur attention. Il espérait qu’ils ne remarqueraient pas ce qui se trouvait au-dessus du chambranle de la porte.

Les flammes (le souffle d’un dragon rouge) ébranlèrent toute la structure lorsque le premier garde passa dessous. Il réussit à éviter le gros des flammèches, mais pénétra néanmoins en feu dans la salle d’audience, en proie à de violents soubresauts. Jarlaxle avait pris soin de placer la statuette en argent la gueule tournée vers l’arrière, de sorte que la dizaine d’hommes qui chargea après le premier soldat n’eut pas autant de chance que lui et ne fut pas en mesure d’éviter la déflagration.

Le battant se consuma pendant ce qui sembla un temps relativement long ; il brûla les sentinelles qui hurlaient, réduisant à néant tout espoir de renforts, et se propagea aux tapisseries, aux bancs, aux tapis et à toutes les poutres de la structure.

Autour de Jarlaxle, les quatre gardes assistaient, incrédules, à la scène, qui avait à peine duré deux secondes, soit une de plus que ce dont le drow avait besoin.

Jarlaxle se releva et changea de direction pour se mêler aux gardes. Une épée s’abattit violemment à gauche sur un bras armé d’une lame, contraignant son détenteur à la lâcher. La seconde arme frappa à droite, à travers la jointure d’une armure, pénétrant dans le flanc d’un homme.

Le drow bondit sur la gauche et frappa de ses pieds la poitrine d’une sentinelle ; la force de la poussée projeta l’homme à terre. Jarlaxle s’élança ensuite en arrière et vers la droite, pour se charger de son quatrième adversaire ; il pivota sur lui-même de sorte qu’il se retrouva presque assis sur les épaules de son ennemi. Il abaissa ses lames en croix et taillada la gorge du soldat, tandis qu’il basculait vers l’arrière pardessus son épaule, avant d’atterrir avec souplesse au sol et de s’éloigner en tournant sur lui-même.

La sentinelle porta les mains à sa gorge et tomba à genoux.

 

* * *

 

— Pour Séluné ! hurla le garde, qui pensait la victoire proche.

Couvert par ce cri, Athrogate invoqua la magie du morgenstern qu’il tenait dans sa main droite et fit sortir de l’huile explosive de ses pointes. Le nain lança la tête de son arme en direction du bouclier de la sentinelle. Son bras était mou et le coup porta peu, mais lorsque l’arme toucha l’écu, l’huile explosa, le faisant voler en éclats, ainsi que le bras qui le tenait, projetant l’homme à terre.

Athrogate se laissa tomber à gauche et frappa de sa seconde arme, recouverte d’une substance magique provenant d’une créature connue pour semer la peur dans le cœur des guerriers les plus valeureux : un monstre de rouille. Le premier choc s’avéra peu dissuasif pour le garde qui n’avait pas conscience de ce qui l’attendait : de son bouclier, il repoussa le nain et assena un violent coup d’épée sur son épaule.

Hurlant de douleur, Athrogate se mit à effectuer des mouvements vigoureux de son bras gauche, et la tête de son morgenstern décrivit des cercles horizontaux, touchant l’écu à chaque passage. L’attaque était si vigoureuse que la sentinelle dut reculer.

Mais l’homme semblait confiant, se moqua même du nain lorsque celui-ci, en sang et meurtri, se tourna pour se mettre en garde face à lui.

Le soldat chargea ; le nain pivota sur la gauche et balança son bras droit, le morgenstern cognant sans grande force contre le bouclier.

Ce n’était pas nécessaire : l’écu avait commencé à rouiller et l’impact suffit à le faire voler en éclats, projetant de la poussière rouge sur les deux combattants.

Le garde, surpris, s’arrêta ; Athrogate rugit et rassembla toute la vigueur dont il était capable pour achever de pivoter sur lui-même et assener un revers puissant de son morgenstern gauche. Son bouclier détruit, la sentinelle ne put que battre en retraite pour éviter le coup.

Athrogate, dans un dernier saut, prit solidement appui sur son pied gauche et avança le pied droit, en équilibre parfait, stoppant son élan avec une redoutable efficacité. Il chargea, balançant son arme qui vint atteindre son adversaire dans le dos alors qu’il se tournait pour s’enfuir, et le projeta vers l’avant.

Athrogate ne le lâcha pas d’une semelle ; il frappa sans discontinuer du bras gauche, de gauche à droite et vers le bas, puis en sens inverse, la tête du morgenstern heurtant sans relâche le dos du garde, le forçant à se lancer dans une course chancelante. Le nain cogna encore et encore comme si, de son morgenstern, il lui impulsait la direction…

Qui le mena la tête la première dans une colonne de pierre.

Par réflexe, les bras du garde enserrèrent le pilier lorsqu’il tomba au sol, à peine conscient de son geste.

Athrogate, pour le plaisir, continua à le rouer de coups.

 

* * *

 

Lorsqu’il se releva, Entreri ramena ses bras le long du corps, entraînant avec lui le pauvre Yinochek. Il essaya de lui briser le cou, mais n’avait pas suffisamment d’appui pour y parvenir, ni le temps nécessaire pour achever la strangulation. En colère, il relâcha à contrecœur le prêtre et le poussa en direction d’un homme qui se tenait à proximité, un autre prêtre, puis s’élança derrière lui et bloqua un deuxième adversaire de l’épaule. Il pivota à droite en y mettant toutes ses forces, espérant éviter le coup d’épée d’un nouvel opposant.

Il n’y serait pas parvenu si l’homme n’avait été projeté dans les airs par le coup de bec puissant du diatryma invoqué par Jarlaxle. L’assassin s’élança aux côtés de l’oiseau géant, tandis que celui-ci avançait, piétinant l’adversaire à terre.

Entreri courait à toute allure, ses pieds nus résonnant sur le sol en pierre. Il obliqua quand, à gauche comme à droite, des gardes se rapprochèrent de lui, mais accélérant soudain, il les dépassa et plongea tête baissée par-dessus le trône. Il se remit debout, trois hommes sur les talons.

Il remarqua les dégâts causés par l’intervention de Jarlaxle, aperçut des ennemis qui tombaient sur le sol, les flammes qui jaillissaient de la pièce et la fumée épaisse qui se propageait. Il savait que rien de tout cela ne pourrait l’aider.

Il devait anticiper les actions de Jarlaxle, devait penser comme son compagnon drow.

Il se dirigea droit vers le trou extra-dimensionnel toujours ouvert sur le pilier.

Tandis que des hallebardes allaient le toucher, Entreri plongea dans l’abîme et disparut.

À l’intérieur, il sentit un corps qui bougeait et gémissait. Il frappa l’homme au visage, l’envoyant à terre. Tandis qu’il avançait, sa main se referma sur un pommeau.

Tue-les ! Le message, insistant, apparut clairement dans son esprit.

Entreri n’avait pas l’intention de décevoir la lame.

Devant le précipice, les trois gardes, indécis, hésitaient.

D’un bond, Entreri émergea du trou, l’épée à lame rouge dans une main, la dague ornée dans l’autre. Il abattit la Griffe de Charon sur la plus proche hallebarde, à droite devant lui, et, en prenant appui sur ses pieds, plaça son épée juste en dessous. Puis il leva le bras, entraînant dans son mouvement la longue arme en forme de lance et l’utilisant pour parer l’attaque du deuxième soldat.

Au même moment, l’assassin exécuta un revers de sa dague pour dévier le coup d’épée qu’on lui assena par-derrière, sur la gauche. Il virevolta pour faire face au propriétaire de l’arme et leva haut son bras gauche, entraînant la lame avec lui, avant de frapper l’homme en pleine poitrine de sa Griffe de Charon. Comme ce dernier tomba à terre, libérant ainsi la main qui tenait la dague, Entreri se rejeta en arrière et se baissa pour éviter le coup de la lourde hallebarde. Il tomba en position assise, sans cesser de tourner, et planta son poignard dans le genou du soldat à la lance qui hurla, avant de la retirer en roulant sur lui-même. Il frappa les jambes de son adversaire avec la Griffe de Charon, l’envoyant au sol, et utilisa son corps comme un bouclier, puis se remit debout. Ce n’était pas nécessaire, comme il le constata, car le troisième garde venait de prendre la fuite.

Entreri se lança à sa poursuite, mais s’arrêta brusquement, son attention attirée par les trois prêtres qui escortaient la Propre voix bénie vers la sortie dans le fond.

« Non ! », hurla-t-il. Il chargea à toute allure, même s’il savait qu’il n’arriverait pas à temps pour empêcher la fuite. Cela ne pouvait pas se passer ainsi ! Pas après tous ces efforts, pas après tous les souvenirs qui lui étaient revenus de Shanali.

Le dévot Tyre, qui menait l’escorte, ouvrit la porte ; Entreri opta pour la seule option à sa disposition : il jeta son épée comme une lance.

 

* * *

 

— Ah, mais t’es un bon cochon, déclara Athrogate à Grognard.

Il s’appuyait lourdement sur le sanglier, à deux doigts de défaillir tant il avait perdu de sang, et dirigea la créature vers la poche extra-dimensionnelle. Tandis qu’il s’approchait du trou noir, le nain remarqua qu’un homme en sortait en rampant.

Le dévot Gositek se tourna, implorant, vers lui.

Athrogate le frappa violemment. L’homme perdit connaissance et s’affaissa sur le rebord du précipice, courbé en deux au niveau de la taille, les doigts de son bras tendu effleurant le sol.

Sur un ordre du nain, Grognard bondit dans l’abîme. Son maître regarda Jarlaxle et lui adressa un salut, que le drow ne sembla pas voir. Athrogate s’assit ensuite sur le bord de la poche extra-dimensionnelle, attrapa Gositek par la peau du cou et disparut, emmenant avec lui le prêtre meurtri.

 

* * *

 

Du coin de l’œil, le dévot Tyre vit le projectile arriver. Il tomba à la renverse en criant et fit vaciller ses compagnons, tandis que la Propre voix bénie Yinochek, qui n’avait toujours pas repris son souffle, tomba contre le mur. L’épée à lame rouge fila juste devant Tyre et s’enfonça dans la porte qu’elle referma ; la lame plantée vibra un bon moment.

— Faites-le sortir, ordonna Tyre aux deux autres, avant de se tourner vers Entreri qui chargeait. Je vais régler son compte à celui-là.

D’un air de défi, le prêtre saisit la Griffe de Charon et l’arracha de la porte.

Tout sembla alors se dérouler au ralenti pour le religieux. Il s’écarta en titubant de la porte tandis qu’un de ses compagnons, le dévot Premmy, poussait le battant. Il aperçut Entreri, qui hurlait, à plus de un mètre de là. Il le vit changer son arme de main, réaliser un saut vigoureux et se recevoir sur son pied gauche.

Entreri fit pivoter son bassin pour se trouver face à la porte. Il écarta le bras gauche tandis qu’il ramenait son épaule droite vers l’avant, le bras levé en position pour un lancer énergique.

Tyre comprit à peine le mouvement, mais savait confusément quelle était la cible. Il tenta de hurler pour avertir les autres, sans parvenir à émettre autre chose qu’un son strident.

Il s’entendit à peine, mais perçut parfaitement le cri, puissant et sonore, d’Entreri : « Shanali ! »

Comme sous l’action d’un magicien invisible, le temps s’accéléra et le projectile passa devant ses yeux. Le dévot Tyre se tourna pour voir la Propre voix bénie, le doyen des prêtres de la Maison du Protecteur, les bras écartés, tremblant, le visage tordu dans une douleur atroce, la poignée ornée d’une dague plantée dans la poitrine.

Puis Tyre distingua… du blanc. Du blanc qui le consumait, car il éprouvait enfin de tout son être la douleur insoutenable qui avait envahi son corps et son âme. Il hurla encore (tout du moins, il essaya), mais ses lèvres se recourbèrent sur ses dents et furent aspirées vers l’arrière comme si elles étaient en train de fondre. Au fond de lui, Tyre sut qu’il devait ôter sa main de l’épée démoniaque.

Mais ses sens avaient depuis longtemps disparu et ses pensées n’étaient plus connectées à son corps. La souffrance avait pris possession de lui et il sentit la piqûre d’un million d’aiguilles, la brûlure d’un million de morsures, un feu en lui, aussi dévastateur que celui qui s’était déclenché dans le couloir.

Il tomba à terre sans s’en rendre compte. Il gisait là, tremblant, la peau fumant et craquelant sous l’action de la Griffe de Charon qui le dévorait.

 

* * *

 

C’est au plus profond de lui-même qu’Artémis Entreri avait puisé la force de lancer son arme, aussi avait-il eu à peine conscience de son geste. Il n’avait rien vu d’autre que Shanali, fragile, qui agonisait dans la poussière. Il n’avait rien senti de plus que la rage et la fureur à l’idée que ce vil religieux pouvait lui échapper.

Au moment où sa dague s’enfonça dans le cœur du doyen des prêtres Yinochek, le charme fut rompu et Entreri, se lançant à la poursuite des quatre autres, fut submergé par une immense vague de satisfaction violente.

Il ralentit le pas et perçut des mouvements sur le côté, puis vit que deux des religieux abandonnaient Yinochek et s’enfuyaient par la porte, poursuivis par le diatryma de Jarlaxle. Dans le vestibule, des soldats arrivaient près de la salle où se déroulait le combat, mais ils changèrent vite d’attitude et de sens en découvrant l’oiseau géant dans l’embrasure !

Entreri se précipita et referma la porte. Il jeta un coup d’œil à Tyre, qui agonisait, sans lui accorder davantage d’attention, et se plaça devant le doyen des prêtres.

— Sais-tu combien de vies tu as détruites ? lui demanda-t-il.

Tremblant, bafouillant, les yeux exorbités parla terreur, Yinochek remua les lèvres, mais n’émit aucun son.

— Oui, nota Entreri. Tu le sais. Tu le comprends. Tu mesures la vilenie de tes actes lorsque tu voles l’argent des paysans et l’innocence des jeunes filles. Tu le sais, et maintenant tu es terrifié.

Il leva la main et saisit la poignée de sa dague. L’homme se raidit.

Entreri songea à anéantir l’âme du prêtre au moyen de son arme magique, mais il secoua la tête et chassa cette idée.

— Séluné est un bon dieu, d’après ce qu’on m’a dit, déclara-t-il, et n’aura que faire de gens comme toi. Tu n’es qu’un imposteur et tu n’as nulle part où te cacher.

Les yeux de l’homme roulèrent vers l’arrière et il s’effondra au sol.

— Une meilleure façon de partir que celle-ci, déclara Jarlaxle et ce n’est qu’à ce moment-là qu’Entreri prit conscience de la présence du drow à ses côtés.

Ce dernier désigna à son compagnon ce qui restait du dévot Tyre, qui gisait sur le dos, en proie à de violentes convulsions, la toge fumante. Son visage présentait plus d’os que de chair.

Dans un grognement, Entreri piétina rudement l’avant-bras du prêtre et écrasa la peau brûlée et les os. Le mouvement ainsi amorcé souleva la Griffe de Charon dans les airs, et Entreri s’en saisit.

Il regarda Jarlaxle qui replaçait le morceau de tissu dans son gigantesque chapeau.

Une violente secousse ébranla le bâtiment et, dans la pièce, des flammes surgirent.

— Viens, lui dit le drow, en remettant son masque magique. Nous devons nous en aller.

Entreri jeta un regard à la Propre voix bénie, le dos au mur, la poitrine en sang, les yeux révulsés.

Il songea une dernière fois à Shanali. Il prit un bref instant pour considérer le cours long et chaotique de sa misérable vie, qui avait fini par le conduire dans cet horrible endroit.

La route du patriarche
titlepage.xhtml
Salvatore,R.A.-[Mercenaires-3]La route du patriarche(2006).French.ebook.AlexandriZ_split_000.html
Salvatore,R.A.-[Mercenaires-3]La route du patriarche(2006).French.ebook.AlexandriZ_split_001.html
Salvatore,R.A.-[Mercenaires-3]La route du patriarche(2006).French.ebook.AlexandriZ_split_002.html
Salvatore,R.A.-[Mercenaires-3]La route du patriarche(2006).French.ebook.AlexandriZ_split_003.html
Salvatore,R.A.-[Mercenaires-3]La route du patriarche(2006).French.ebook.AlexandriZ_split_004.html
Salvatore,R.A.-[Mercenaires-3]La route du patriarche(2006).French.ebook.AlexandriZ_split_005.html
Salvatore,R.A.-[Mercenaires-3]La route du patriarche(2006).French.ebook.AlexandriZ_split_006.html
Salvatore,R.A.-[Mercenaires-3]La route du patriarche(2006).French.ebook.AlexandriZ_split_007.html
Salvatore,R.A.-[Mercenaires-3]La route du patriarche(2006).French.ebook.AlexandriZ_split_008.html
Salvatore,R.A.-[Mercenaires-3]La route du patriarche(2006).French.ebook.AlexandriZ_split_009.html
Salvatore,R.A.-[Mercenaires-3]La route du patriarche(2006).French.ebook.AlexandriZ_split_010.html
Salvatore,R.A.-[Mercenaires-3]La route du patriarche(2006).French.ebook.AlexandriZ_split_011.html
Salvatore,R.A.-[Mercenaires-3]La route du patriarche(2006).French.ebook.AlexandriZ_split_012.html
Salvatore,R.A.-[Mercenaires-3]La route du patriarche(2006).French.ebook.AlexandriZ_split_013.html
Salvatore,R.A.-[Mercenaires-3]La route du patriarche(2006).French.ebook.AlexandriZ_split_014.html
Salvatore,R.A.-[Mercenaires-3]La route du patriarche(2006).French.ebook.AlexandriZ_split_015.html
Salvatore,R.A.-[Mercenaires-3]La route du patriarche(2006).French.ebook.AlexandriZ_split_016.html
Salvatore,R.A.-[Mercenaires-3]La route du patriarche(2006).French.ebook.AlexandriZ_split_017.html
Salvatore,R.A.-[Mercenaires-3]La route du patriarche(2006).French.ebook.AlexandriZ_split_018.html
Salvatore,R.A.-[Mercenaires-3]La route du patriarche(2006).French.ebook.AlexandriZ_split_019.html
Salvatore,R.A.-[Mercenaires-3]La route du patriarche(2006).French.ebook.AlexandriZ_split_020.html
Salvatore,R.A.-[Mercenaires-3]La route du patriarche(2006).French.ebook.AlexandriZ_split_021.html
Salvatore,R.A.-[Mercenaires-3]La route du patriarche(2006).French.ebook.AlexandriZ_split_022.html
Salvatore,R.A.-[Mercenaires-3]La route du patriarche(2006).French.ebook.AlexandriZ_split_023.html
Salvatore,R.A.-[Mercenaires-3]La route du patriarche(2006).French.ebook.AlexandriZ_split_024.html
Salvatore,R.A.-[Mercenaires-3]La route du patriarche(2006).French.ebook.AlexandriZ_split_025.html
Salvatore,R.A.-[Mercenaires-3]La route du patriarche(2006).French.ebook.AlexandriZ_split_026.html
Salvatore,R.A.-[Mercenaires-3]La route du patriarche(2006).French.ebook.AlexandriZ_split_027.html
Salvatore,R.A.-[Mercenaires-3]La route du patriarche(2006).French.ebook.AlexandriZ_split_028.html
Salvatore,R.A.-[Mercenaires-3]La route du patriarche(2006).French.ebook.AlexandriZ_split_029.html
Salvatore,R.A.-[Mercenaires-3]La route du patriarche(2006).French.ebook.AlexandriZ_split_030.html
Salvatore,R.A.-[Mercenaires-3]La route du patriarche(2006).French.ebook.AlexandriZ_split_031.html
Salvatore,R.A.-[Mercenaires-3]La route du patriarche(2006).French.ebook.AlexandriZ_split_032.html